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La table ronde – « Censure ? » est une initiative de Christian Messier et Emmanuel Galland
Samedi 17 juin  – 16 h 30
Entrée libre
Présentation et modérateur : Christian Messier

LIEU : Galerie Laroche/Joncas
Édifice Belgo – 372 rue Sainte-Catherine Ouest, #410, Montréal

THÈME : Pourquoi censure-t-on des œuvres avec l’argument de ménager le public et pourquoi les médias de masse s’intéressent si peu à l’art contemporain ?

INVITÉ-E-S pour ouvrir la discussion en-dehors du cas de censure subi par Christian Messier :

– John Boyle-Singfield, artiste – www.johnboylesingfield.com
– Helena Martin Franco, artiste – www.helenamartinfranco.com
– Nicolas Mavrikakis, commissaire indépendant, critique d’art et professeur d’histoire de l’art
– Charlotte Panaccio-Letendre, directrice – centre d’artistes Verticale – www.verticale.ca
– Julia Roberge Van Der Donckt, doctorante en histoire de l’art

Documentation vidéo >>

 

Les 10 minutes d’Helena

Je ne sais pas si je devrais m’excuser, mais je n’ai pas le choix que d’être directe. C’est peut-être en raison d’un sentiment d’urgence, d’un trait culturel quand il s’agit d’une telle situation : on niaise pas avec la puck, ou en raison d’un besoin de transparence absolue.

 

Récit de faits :

Récapituler l’ensemble des épisodes vécus génère en moi une sensation d’humiliation et de mépris.  Ces expériences se sont produites à trois moments distincts.

1. 2011: Exposition ÉTATS PASSAGERS.

Le Lieu : Maison de la culture de Villeray – Saint-Michel – Parc-Extension, dans le cadre du festival LATINARTE.

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Images de l’exposition États passagers >>

Pour cette exposition, la commissaire d’origine latino-américaine avait choisi six dessins faisant partie de la série de la naissance de la femme éléphant. La commissaire et moi avons choisi ensemble l’emplacement des dessins dans la salle de diffusion. Lors de la soirée du vernissage, deux des dessins n’étaient plus accrochés

Partie I: portrait d’une femme éléphant, 201003-parc-ex-femme-elephant

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J’aimerais attirer l’attention sur un article du contrat entre la Maison de la culture et l’exposant :

3. OBLIGATIONS DE L’EXPOSANT

                  3.1 Livrer à la ville les œuvres indiquées à l’annexe A au date et lieu ci-haut mentionnés, étant entendu que le Responsable pourra, au moment de la livraison ou du montage, refuser certaines des œuvres préalablement choisies, l’Exposant renonçant à cet égard à tout recours contre la Ville et le Responsable.

Ici on peut comprendre que ce type de surveillance sur les œuvres se pratique de façon régulière.

2. 2014: Dans le cadre du même festival, un autre commissaire, également d’origine latino-américaine, m’a invitée à faire partie de l’exposition De ma mère et de ma terre avec des œuvres en vidéo, dessin, aquarelle, technique mixte.

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Processus de sélection :

Lors d’une rencontre chez le commissaire, l’agent culturel (ou le Responsable) procède à une inspection de la sélection, suite à laquelle il rejette les œuvres qui comportent de la nudité. Parmi ces œuvres se trouvait La planète de seins. Sensible à l’interdiction, le commissaire a insisté pour que l’image fasse partie du catalogue de l’exposition.

 

07-catalogue-ma-mere-4Liens vers le catalogue >> 

–  Ayant interrogé le Responsable de la Maison de la culture sur la raison de l’interdiction,  il nous a expliqué qu’il doit tenir compte de la sensibilité du quartier et du public écolier qui fréquente cette salle.

– Pourtant, c’était lors du vernissage que le public lui-même m’a demandé pourquoi cette aquarelle n’était pas exposée. Parmi le public, il y avait des résidents du quartier. On a trouvé la situation inacceptable et plusieurs personnes de la communauté artistique m’ont conseillé de dénoncer la censure à la presse.

Pourquoi ne suis-je pas allée aux médias? Tout simplement parce que  je ne voulais pas être instrumentalisée contre une communauté culturelle. Je savais que cet épisode pouvait être rapidement récupéré contre la communauté musulmane au moment où on voyait des éclats islamophobes partout.

3. Le dernier épisode a eu lieu en 2015 lors de la Table ronde : Le corps, l’art et l’interculturel: la salle d’exposition doit-elle devenir un territoire de négociations?

 Cette table ronde a été réalisée à la suite de ma demande de réfléchir, ensemble (avec l’équipe de la Maison de la culture), à la question des sensibilités des cultures dans le cadre d’une exposition, des possibles conflits et des façons d’agir. Il s’agissait de chercher ensemble des solutions.

MAIS la manipulation du contenu de deux des trois conférences et une négociation trompeuse m’ont poussée à accepter de m’autocensurer. (Réfléchir sur sa responsabilité quand on tolère ce type de pression.) De cette table ronde en 2015, il me reste la sensation d’avoir fait partie d’une farce. (Dire qu’on a fait et ne rien faire, ou juste détourner l’attention vers d’autres thématiques.) Alors, comment croire à l’art, aux artistes, aux institutions, après une expérience pareille? Ce soir-là, j’ai appris qu’il faut s’obstiner pour que les règles du jeu soient claires, parce que quand ce n’est pas le cas, il y a lieu à trahison. On finit par trahir le public.  Ou par se trahir soi-même.

LES RESSENTIS

Les sentiments comme artiste qui fait partie d’une collectivité :

–       On nous vole une partie de notre rôle dans la société. Il y a de l’intrusion, de l’interférence dans nos rapports avec le public. On le fait quand on crée des situations qui génèrent de la méfiance à l’égard des artistes. On nous infantilise; artistes, commissaires et public.

On m’a fait sentir que j’étais à la merci du pouvoir d’un « Responsable » (préposé de la ville), ce qui se traduit en mépris envers le travail professionnel que j’expose au Québec depuis 2002. C’est curieux, parce que ce n’était pas à Montréal, mais à Laval, au centre d’artiste Verticale, dans mon exposition sur ce territoire: Le sacré et le profane : lassitude, vertu ou la fin des temps. De la commissaire : Renée Chevalier.
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–       Lors de cette exposition, j’ai présenté l’installation « Une couronne pour Cendrillon, un compte de fesse ». Dans certaines des pièces, on pouvait voir des dessins copiés d’images pornographiques. Il n’y a pas eu de censure, il n’y a pas eu de plaintes.

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Mes sentiments comme femme, c’est qu’on renforce la hiérarchie du genre et cette hiérarchie est toujours violente. Elle se traduit en pratiques machistes. Est-ce que le censeur est un moralisateur? Est-ce qu’il est un punisseur de femmes?

Comme artiste d’origine latino-américaine, j’ai le sentiment qu’on me soumet au paternalisme, à la consolidation d’une hiérarchie de cultures et les hiérarchies sont toujours violentes. Elles sont source de conflit. Les hiérarchies culturelles nous forcent dans une situation d’opposition.

QUELQUES SUGGESTIONS

1 – Il faut prendre conscience que la transparence est nécessaire en ce moment.

2-  Penser les rôles des diverses institutions culturelles et comprendre qu’elles n’opèrent pas de la même façon; dans leur rapport avec les artistes, les commissaires et le public. Ici, on peut identifier 5 types d’institutions dans le Grand Montréal :

Centres d’artistes

Les salles de diffusion des Maisons de la culture

Musées

Galeries privées

Les halls des théâtres et autres espaces publics; des lieux de transition, de passage.

3- Éclaircir les règles du jeu. Définir les paramètres qui vont déterminer le refus des œuvres d’art par les responsables (l’administration) de la salle. Mettre par écrit les règles du jeu, par exemple : On refuse toute nudité dans les œuvres exposées dans cette salle de diffusion.

4- Informer : donner à ces salles de diffusion/exposition (limitées) un nom qui illustrera leurs spécificités, leurs limites au niveau de la diffusion, par exemple :

Salle de diffusion pour enfant.

Salle d’exposition contrôlée, sécurisée.

Salle d’exposition à contenu surveillé, limité,  contextualisé, intervenu.

Salle de diffusion sensible… à la nudité.

Salle d’exposition accommodée, aménagée, adaptée à …

Salle d’exposition harmonisée, par exemple, avec la communauté catholique

5- Se méfier des arguments qui utilisent une ou des communautés culturelles comme excuse pour imposer des restrictions, sans qu’elles aient voix au chapitre pour se défendre, pour argumenter ou faire partie de la sélection.

6 – S’il faut absolument transiger, il faut réfléchir à une forme de négociation sans hiérarchie qui donne la possibilité de parole et d’action égale à tous ceux et celles impliqués.

7 – Il faut bien s’informer sur le rapport des enfants à la nudité. Je crois qu’on opère à partir d’une peur exagérée, malsaine, et que certains « responsables » de salles d’exposition improvisent avec leurs mesures restrictives d’une façon qui peut s’avérer nocive pour les enfants.

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